Le 26 septembre 2019 la CPME 54 organisait sa soirée Prestige de la rentrée, durant laquelle a eu lieu une conférence menée par le professeur Olivier Torrès, normalien, enseignant chercheur à l’Université de Montpellier et à Montpellier Business School, fondateur de l’Observatoire AMAROK[1] et avant tout économiste « PMiste » !
Tout d’abord, Olivier Torrès dresse un état des lieux des PME dans le paysage économique, politique et juridique français.
Quelques chiffres:
99,84% des entreprises en France sont des PME.
Les PME comptent 7 millions de salariés et 3 millions de TNS (travailleurs non salariés) soit 10 millions d’actifs.
Les grands groupes nationaux regroupent 4,5 millions de salariés tandis que les fonctionnaires sont au nombre de 5,6 millions.
Les PME représentent à peu près 50% du PIB de la France.
A la lecture de ces chiffres, Olivier Torrès démontre que les PME totalisent plus d’emplois que les grands groupes nationaux.
Puis il explique que le management d’aujourd’hui repose sur la théorie des grands groupes :
Taylorisme, Fayolisme, Fordisme, Toyotisme, Uberisation…
La théorisation de l’économie, qui est le modèle de management actuel, est issue des grands groupes nationaux et bien qu’étant encore majoritairement enseignée dans le système scolaire, elle s’adapte mal au fonctionnement des PME.
Olivier Torrès attire ainsi notre attention sur le fait que les décisions de nos élites, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, s’adressent principalement aux grands groupes, puisque ces derniers sont à la base de leur enseignement, et ne tiennent pas compte du fonctionnement des PME, qui représentent pourtant une place économique importante en France.
Olivier Torrès nomme ce phénomène « l’effet Gulliver » : La représentation du monde à partir des géants, expliquant que les lois pensées et votées sont adaptées aux grands groupes présentés comme le modèle économique actuel mais pas aux PME, qui selon lui sont « un géant économique mais un nain politique ».
Du point de vue de l’économie inclusive, il met en opposition les 32 % de femmes cheffes d’entreprises avec la seule femme dirigeante du CAC 40, indiquant ainsi que les PME savent se moderniser quand les grands groupes peinent à évoluer.
Il suggère également aux patrons de PME présents dans la salle d’écrire un livre sur leur vie de dirigeant de PME, afin de transmettre leur expérience et de la partager au plus grand nombre, car contrairement à la grande richesse des archives existant à propos des grands groupes, il existe peu d’écrits traitant du sujet des PME; il invite également son auditoire à lire les ouvrages existants car peu de dirigeants s’intéressent réellement à la littérature dédiée à leur activité.
En second lieu, après nous avoir expliqué les raisons de son intérêt pour les PME, le professeur rentre dans le vif du sujet: la santé du dirigeant.
Quelle est la phrase qu’il a entendue le plus souvent en commençant ses recherches ?
« Je n’ai pas le temps d’être malade »
Et même « Je ne tombe malade que lorsque je suis en congés », si bien qu’il a fini par rencontrer un dirigeant lui ayant expliqué ne plus du tout prendre de vacances pour éviter de tomber malade : une aberration, selon Olivier Torrès.
C’est une réalité qui s’explique aisément: au moment où la tension au travail se relâche, le corps reprend ses droits et tire la sonnette d’alarme, ce qui a pour conséquence un affaiblissement du système immunitaire.
Les services de santé au travail sont tournés vers les salariés, mais on s’intéresse peu à la santé des dirigeants, outre peut-être lorsqu’ils souhaitent effectuer un prêt à la banque, c’est pourquoi l’on arrive à des situations extrêmes comme celle de préférer ne pas prendre de repos plutôt que de subir les conséquences de la fatigue.
Encore une différence flagrante entre les grands groupes et les PME: Lorsqu’un Steeve Jobs ou un Edouard Michelin décède, l’entreprise continue de tourner -presque- comme si de rien n’était: le dirigeant est remplacé dans les 48 heures.
Lorsqu’un dirigeant de PME décède, la taille moyenne des PME étant de 7 salariés, malheureusement bien souvent l’entreprise disparaît, avec l’ensemble de ses emplois salariés.
Les recherches de l’Observatoire Amarok et du professeur Torrès ont permis d’identifier quatre facteurs pathogènes pour la santé des dirigeants de PME:
I. Le Stress
Bien qu’il n’existe PAS DE BON STRESS, il en existe deux types: le stress SUBI et le stress CHOISI
– STRESS SUBI : il n’est la conséquence d’aucun choix, il vient de l’extérieur,
– STRESS CHOISI : il intervient de manière prévisible, lors d’évènements précis comme la prise de parole; il génère de la satisfaction au travail.
Le danger réside davantage dans la durée d’exposition au stress plutôt que dans le stress à proprement parlé.
II. – L’incertitude du carnet de commande
Le dirigeant de PME ne connaît pas l’avenir de ses revenus comme un salarié -notamment un fonctionnaire.
Ses commandes dépendent de facteurs qu’il ne maîtrise pas, de ses commandes dépendent la pérennité de l’entreprise, ses revenus, l’entretien de sa famille, etc.
III. – La surcharge de travail
« Le travail, c’est la santé »
Oui, mais à quel point? Olivier Torrès représente le travail et la santé selon une courbe, et se demande où se situe le point d’inflexion:
8 heures de travail par jour, c’est bon pour la santé, 9 heures peut-être, mais qu’en est-il à partir de 10 heures, voire 11 heures…
Il faut connaître ses limites et les respecter, en étant à l’écoute de son corps. Par exemple, il nous démontre que les dirigeants de PME ont un sommeil insuffisant :
Ils dorment en moyenne 6h20 par nuit, quand les Français dorment en moyenne 6h50.
Pourtant des études révèlent que la qualité du sommeil détermine la qualité de saisie des opportunités.
Olivier Torrès nous demande d’être attentifs à notre sommeil et nous invite à nous poser ces questions:
– Quelle est votre durée d’endormissement ?
– Vous levez-vous la nuit (pour d’autres raisons que les besoins naturels)?
– Vous réveillez-vous longtemps avant la sonnerie de votre réveil?
– Vous sentez-vous encore fatigué au moment de vous lever ?
Si la réponse est oui à l’une des trois dernières questions, le sommeil n’est pas de bonne qualité et donc pas suffisamment réparateur ; les conséquences sont la diminution de l’attention et la perte de la qualité du travail au quotidien.
Olivier Torrès précise que le burn out est souvent une conséquence directe de la solitude, entre autres facteurs ; il invite les participants à sortir de la solitude, à se syndiquer, à adhérer à des réseaux, des clubs d’entreprises, à échanger et surtout à éviter de rester seul face à leurs doutes et à leurs difficultés.
IV. -La solitude
Les chefs d’entreprises cumulent donc les facteurs pathogènes, auxquels il faut rester attentifs, car parfois la souffrance générée par cette accumulation mène certains dirigeants à mettre fin à leur jour; le suicide du dirigeant étant considéré aujourd’hui comme un fait divers par la presse, quand le suicide d’un salarié (chez Orange, par exemple) est un fait de société.
Bien entendu, afin de ne pas rester sur cette part sombre de sa conférence, Olivier Torrès nous livre une contre-hypothèse, la salutogenèse entrepreneuriale.
Quels sont les trois facteurs salutogènes pour la santé des dirigeants?
I. Le sentiment de maîtrise de son destin
Le dirigeant peut s’attribuer ses propres réussites et échecs.
En ayant créé sa propre activité et en étant son propre patron, il ne travaille pas en contraintes subies mais choisies.
II. L’endurance
Les entrepreneurs ont une grande faculté à la résilience, ils ont tendance à se relever après être tombés, à l’image de l’ouvrage de Philippe Labro, « Tomber sept fois, se relever huit ».
Il appelle ça le rebond, la faculté à rebondir.
III. L’optimisme
Il faut être optimiste pour se lancer dans l’entrepreneuriat, c’est une évidence, et c’est en opposant les optimistes aux pessimistes que le professeur nous le démontre. En effet, il décrit deux sortes de pessimistes:
– l’anxieux, l’intra-biliaire qui voit le côté négatif dans chaque chose et se torture le corps et l’esprit en gardant tout pour lui.
– l’anxiogène, tout l’inverse de l’anxieux, il ne garde pas son angoisse pour lui mais rend son entourage anxieux à la moindre occasion en rappelant tout ce qui pourrait mal se passer… Pour ce genre de pessimistes, il existe deux solutions: lui proposer de se faire aider, ou la méthode de la TANGENTE: Fuyez-le!
Finalement, Olivier Torrès nous livre les résultats de l’étude menée avec l’Observatoire Amarok:
Entreprendre est bon pour la santé!
En effet, sur la balance, les facteurs salutogènes, bien que moins nombreux, ont plus d’importance que les facteurs pathogènes.
Pourtant, il existe un coefficient de variation important pour les dirigeants de PME en matière de santé mentale, car contrairement à la moyenne de la population qui connaît des hauts et des bas, les chefs d’entreprises connaissent des hauts très hauts et des bas très bas.
Il n’existe à ce jour aucun moyen de contrôle de la santé du dirigeant de PME, et aucune réelle prévention mise en place.
C’est pourquoi l’Observatoire Amarok, avec le Professeur Torrès, œuvre chaque jour pour donner la parole aux dirigeants de PME et obtenir de la société qu’ils soient enfin reconnus, représentés et ainsi pris en considération dans les décisions en matière de santé publique.
[1] L’Observatoire AMAROK est une association s’intéressant à la santé physique et mentale des travailleurs non-salariés (TNS): dirigeants de PME, commerçants indépendants, professions libérales, artisans…Il a été créé en 2009 par Olivier Torrès, Professeur des Universités (Montpellier) et spécialiste des petites et moyennes entreprises (PME).
Il fédère une quinzaine de chercheurs qui étudient les liens entre la santé de l’entreprise et celle de son dirigeant.